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Les cinq sens de la philosophie : Montaigne, Platon, Condillac ...

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Message  Hayyah Jeu 6 Aoû - 15:40

Le goût de Montaigne, anthropologue de bouche
LE MONDE DES LIVRES | 30.07.09 |

Extrait de la série d'articles Les cinq sens de la philosophie (2/5)
Roger-Pol Droit

Il n'est pas vraiment gourmet. Il est glouton. La faim le rend goulu. Montaigne, dans les Essais, insiste sur ses manières de table, qui ne sont guère raffinées : "Je mords ma langue, parfois mes doigts, de hâtivité", confie-t-il.

S'il aime indéniablement la bonne chère, en matière culinaire, ce Gascon cherche rarement les complications. Ses préférences vont à l'ail, aux plats relevés, aux vins drus. De temps à autre, il se décrit même plus rustaud que nature, affirme ne rien connaître aux fourneaux, ou ne pas savoir distinguer un chou d'une laitue.


Pour une fois, on a presque du mal à le croire.

Car le même homme, en Italie, compare les cépages de Toscane, furète de taverne en auberge, converse avec les cuisiniers, note soigneusement les recettes, les tours de main, ne cesse de voyager dans les saveurs. Comment comprendre un tel contraste ? Fruste chez soi, raffiné chez les autres ? Serait-ce donc à mettre au compte des contradictions, inconséquences et virevoltes que le gentilhomme se pique de cultiver, comme d'autres soignent la cohérence ? Pas si simple.

Car les papilles, pour Montaigne, sont des moyens de transport, si l'on ose dire. A ses yeux, le goût, mieux que tout autre sens, permet de nous décentrer, nous dépayser, nous défaire des ancrages routiniers. Rien de plus insolite et instructif à expérimenter qu'une saveur inconnue, étrangère et neuve. Car la surprise gustative nous parle des autres et des ailleurs de la manière directe ; elle surgit au sein même de notre intimité. Cet arôme qui surprend, séduit, déroute ou dégoûte, c'est la découverte, au-dedans de notre sensibilité, de ce qu'est l'univers des autres.

Voilà ce qu'a compris Montaigne. Il sait, en philosophe, que ce sens archaïque et raffiné, primitif et éduqué, se prête à l'expérience de la rencontre, de l'exotique et du rapprochement. Goûter les plats des autres, quotidiens ou festifs, permet de rencontrer ce qu'ils ont de plus spécifique et de plus aisément partageable. Par temps de globalisation, alors qu'on sert au coin de la rue toutes les cuisines ou presque, nous avons tendance à oublier la puissance de tels voyages.

LE GOÛT ET LES RENCONTRES

L'expérience nous paraît simple. Elle s'est banalisée, et nous la croyons sans importance. Ce n'est pas vrai. Bien que limitée, elle est intensément instructive. Montaigne nous incite à ne pas rester à table entre nous, mais au contraire à partager les goûts, comme autant de moyens de rencontres humaines. "Je me suis toujours précipité vers les tables les plus garnies d'étrangers", souligne-t-il, lui qui déteste voir les Français rester entre eux, méprisant le goût des autres.

Les saveurs sont en fait, pour Montaigne, des moyens de connaître, des chemins de pensée, des voies de civilisation, des lieux de découverte. Du coup, il devient le premier, sans doute, des anthropologues de bouche. Relisez Sur les cannibales (Essais, I, 31). Sont-ils donc réellement barbares, ces indigènes à demi nus, auxquels on prête toutes sortes de cruautés et de moeurs bestiales ? "Au lieu de pain, ils se servent d'une certaine matière blanche, comparable à de la coriandre confite. J'en ai fait l'essai : le goût en est sucré et un peu fade." On les croit inhumains, grossiers, incapables de nuance ? On s'attend à des gueules insensibles, des carnassiers ? Ils mangent sucré, un peu fade ! Ainsi, bien avant la Physiologie du goût de Brillat-Savarin, Montaigne esquisse une vraie philosophie du goût. Signe de l'humain, le goût révèle l'autre et le monde, à la fois unique et multiple.


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Message  gilda Jeu 6 Aoû - 16:04

Je sais pourquoi j'aime ce gars là ! Wink


A ses yeux, le goût, mieux que tout autre sens, permet de nous décentrer, nous dépayser, nous défaire des ancrages routiniers. Rien de plus insolite et instructif à expérimenter qu'une saveur inconnue, étrangère et neuve. Car la surprise gustative nous parle des autres et des ailleurs de la manière directe ; elle surgit au sein même de notre intimité. Cet arôme qui surprend, séduit, déroute ou dégoûte, c'est la découverte, au-dedans de notre sensibilité, de ce qu'est l'univers des autres.

Entièrement vrai ! Bon après je ne suis pas prête à goûter "tout" (les fricassées d'insectes ne m'attirent aucunement) mais je ne me lasse pas de découvrir de nouvelles cuisines, de nouvelles saveurs, de nouvelles recettes, de grands classiques revisités, etc et inversement (j'aime faire découvrir).

L'expérience nous paraît simple. Elle s'est banalisée, et nous la croyons sans importance. Ce n'est pas vrai. Bien que limitée, elle est intensément instructive

Et nous avons cette chance au quotidien... Mais bon, je connais quelques personnes qui ne mangent que pour s'alimenter, je trouve ça triste de ne pas y associer tous les plaisirs évoqués par Montaigne...
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Message  Môa Jeu 6 Aoû - 16:07

Rien à voir avec la choucroute, mais puisqu'on parle de Montaigne, j'ai fort envie de vous faire partager son texte sur l'amitié qui le lia à La Boétie (dont je ne vous conseillerai jamais trop la lecture du "Discours de la servitude volontaire" ...) : c'est juste beau ...

« Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitié, ce ne sont qu'accointance et familiarité nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s'entretiennent. Les amitié dont je parle, elles se mêlent et se confondent l'une en l'autre, d'un mélange si universel qu'elles s'effacent, et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne peut s'exprimer qu'en répondant : Par ce que c'était lui, par ce que c'était moi ».


NB : Bon, j'ai donné une version bâtarde de français moderne et ancien, histoire de ne pas rebuter les allergiques au français du XVIème siècle. Wink
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Message  Hayyah Jeu 6 Aoû - 16:09

hmmm ... je vais peut-être bouger ce topic de miam-miam en littérature Wink


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Message  gilda Jeu 6 Aoû - 16:10

J'adore !!!

(pis j'aime aussi sa maison à Sarlat (la maison d'Etienne !) mais je sais, ça n'a rien à voir avec le sujet..)
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Message  Môa Jeu 6 Aoû - 16:25

Sarlat étant trop loin de Périgueux pour des couches-tard comme nous (et donc des lèves-tard ...), nous n'avons rien fait de ce coin du Périgord ... No

J'espère que nous pourrons mieux nous organiser si nous faisons à nouveau un truc dans le coin l'an prochain ! Twisted Evil
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Message  gilda Jeu 6 Aoû - 18:00

Voici la fameuse maison d'Etienne de la Boétie !

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Message  Môa Jeu 6 Aoû - 18:47

J'veux y aller !! Les cinq sens de la philosophie : Montaigne, Platon, Condillac ... 470662

(Oui, je suis lourd, pardon, j'arrête ... Les cinq sens de la philosophie : Montaigne, Platon, Condillac ... 343783 )
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Message  Shepounet Jeu 6 Aoû - 20:15

PETROCORE POWAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA
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Message  Hayyah Jeu 6 Aoû - 20:24

PETROCORE POWAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA
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Message  Môa Jeu 6 Aoû - 21:25

CA VEUT DIRE KWAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ?!!!!!
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Message  Shepounet Jeu 6 Aoû - 22:54

"HISTOIRE DU PéRIGORD : Ses origines remontent à environ 2500 ans. Quatre tribus gauloises, quatre clans se seraient regroupés sur le bord d’une rivière pour fonder la nation des Pétrocores (pétro = quatre , corii = clans)."


"La Dordogne est une région du Sud-ouest de la France situé entre la vallée de la Loire et les Pyrénées ainsi appelés en raison de la grande rivière qui la traverse. Localement, le département est connu sous le nom de Périgord. Cela remonte à l’époque où la zone était habitée par les Gaulois: quatre tribus y vivaient, et le nom de «quatre tribus» dans la langue gauloise était «Petrocore », qui est devenu le Périgord et ses habitants les Périgourdins.

Il existe quatre Périgord en Dordogne: le Périgord Vert "(Green Périgord) avec son centre principal à Nontron, est composé de vallées verdoyantes, dans une région traversée par de nombreuses rivières et ruisseaux. Le Périgord Blanc (White Périgord) situé autour du chef lieu du département Périgueux, est une région de plateaux calcaires, de larges vallées et de prairies. Le Périgord Pourpre (purple Périgord) et son centre Bergerac, est une région de vins. Le "Périgord Noir" (Black Périgord) autour de Sarlat, domine les vallées de la Vézère et de la Dordogne, où les bois de chênes et de pins de lui donnent son nom.

Le Petrocore a pris part à la résistance contre Rome. Concentrés dans deux ou trois grands sites les vestiges de la période gallo-romaine sont la gigantesque tour en ruine et les arènes de Périgueux (anciennement Vesone), les collections du musée archéologique du Périgord, villa de Montcaret et la tour romaine de La Rigale Castle à Villetoureix.

Etc..."




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Message  Môa Ven 7 Aoû - 0:28

OKAYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYY !!! cheers

Bah merci, je mourrai moins con ! Les cinq sens de la philosophie : Montaigne, Platon, Condillac ... 314542
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Message  captain.bobo Ven 7 Aoû - 1:55

Rien de plus insolite et instructif à expérimenter qu'une saveur inconnue, étrangère et neuve. Car la surprise gustative nous parle des autres et des ailleurs de la manière directe ; elle surgit au sein même de notre intimité. Cet arôme qui surprend, séduit, déroute ou dégoûte, c'est la découverte, au-dedans de notre sensibilité, de ce qu'est l'univers des autres.
Si je pense aux femmes avec un sourire en coin et un soupir de volupté en lisant ça, c'est grave docteur ?

Il faudra que j'en parle au shaman expert en medecin'e... Wink
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Message  Hayyah Ven 7 Aoû - 11:40

en même temps, c'est une série les cinq sens, hein ... peut-être que si tu lis le texte lié à Platon et la vue, ça te fera pareil Wink
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Message  Hayyah Ven 7 Aoû - 12:53

La vue de Platon, un éblouissement
LE MONDE DES LIVRES | 23.07.09
Roger-Pol Droit


"Il y a deux sortes de troubles des yeux et (...) ils se produisent suivant deux causes : lorsque les yeux passent de la lumière à l'obscurité, et de l'obscurité à la lumière." L'oeil se trouve donc perturbé par les changements d'intensité. Il doit s'accoutumer, venant de l'ombre, à la puissance du soleil, supportant mal l'éclat du jour, la force des couleurs, la roideur des contours. Inversement, une fois accoutumé à la vivacité, il ne discernera pas tout de suite les objets dans la pénombre.

Dans un sens comme dans l'autre, un temps d'adaptation se révèle nécessaire. Pendant quelques instants, dans les transitions, on est presque aveugle - et donc maladroit, tâtonnant, éventuellement ridicule. Un malaise s'installe, tant qu'on ne s'est pas habitué.

Tout le monde sait cela, pour l'avoir mille fois éprouvé et constaté sur soi-même. Voilà pourtant que, chez Platon, toute l'aventure philosophique se résume en un sens à cette affaire de double apprentissage de la vue. Nous qui sommes accoutumés à l'obscurité du monde, la clarté des idées commence par nous aveugler. La célébrissime "allégorie de la caverne" (République, livre VII) met en scène cette souffrance des prisonniers que l'on détache, que l'on force à quitter la pénombre, à marcher vers le haut, vers le dehors éclatant, à se tourner vers le monde des formes éternelles. Platon ne cesse d'insister sur l'acclimatation progressive à la grande lumière : les yeux familiers des ombres et des reflets commenceront par regarder dans les flaques, avant de pouvoir contempler le ciel.

L'oeil du philosophe, dans cette perspective, s'est accommodé. Il discerne nettement les formes réelles, les idées éternelles. Il endure finalement l'éclat du vrai. Et s'extasie de sa beauté. Mais dès qu'il redescend dans la caverne et sa pénombre, il commence de nouveau par ne rien voir. Platon ne permet pas au philosophe de rester dans l'univers supérieur : la tâche du politique consiste à refaire le monde d'en bas, à réorganiser la Cité d'après le modèle fourni par la vision du vrai, du juste, du bien. Celui qui les a contemplés commence par revenir chez les hommes à tâtons. Ses anciens compagnons croient qu'il s'est esquinté les yeux. Ils se méfient de ce voyage d'où l'on revient apparemment inapte, incapable de déchiffrer nos réalités ordinaires.

Ce qui se met en place avec Platon aura dans toute l'histoire de la pensée européenne une postérité immense. Connaître, c'est voir. Penser, c'est regarder. Réfléchir, c'est discerner. Bien plus que des images ou des métaphores, ces formules ne cesseront de dire que la philosophie est une ophtalmologie - un savoir de l'oeil, une histoire de vision, de direction du regard, d'accommodation. Et de passages de l'ombre à la lumière ou, inversement, de la lumière à l'ombre.

Ce privilège de la vue n'a pas cessé durant toute l'histoire de la philosophie. Ainsi, entre mille autres exemples, les démonstrations seront pour Spinoza "les yeux de l'âme", le regard de l'autre transformera, pour Sartre, le sujet en chose. Quelle que soit l'époque, la vue demeure, pour les philosophes, le sens impérial. C'est pourquoi l'histoire de la raison occidentale est une affaire optique : voir et penser renvoient indéfiniment l'un à l'autre.

Il ne reste donc, pour le goût, l'odorat, l'ouïe, le toucher que places secondaires et zones dans les marges. Ce qui rend d'autant plus intéressant de les explorer. Car ces places mineures parlent à leur manière d'une autre pensée.
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Message  Hayyah Ven 7 Aoû - 12:55

L'odorat de Condillac, sans distance ni contour
LE MONDE DES LIVRES | 06.08.09 |

Ils sont fort rares, ceux qui pensent du nez. Le monde des philosophes est avant tout celui de la vision, des lumières et des formes offertes au regard, des structures découpées par l'oeil scrutateur. Quelques penseurs ont la papille réflexive, d'autres l'oreille intelligente. Certains caressent en métaphysiciens. Mais humer, flairer, tendre les naseaux, ce n'est presque jamais affaire de philosophes.

Certes, il arrive souvent que des auteurs de l'Antiquité, ou des classiques comme Berkeley ou Hume mentionnent l'odorat, mais dans une énumération où il ne figure que pour mémoire. Condillac, avec le Traité des sensations (1754), fait figure d'exception. Il imagine en effet, pour comprendre comment naissent nos idées, une statue qui n'aurait d'autre sens que l'odorat.

Un tel choix ne semble dicté par aucun penchant pour les parfums, aucune dilection particulière pour les fragrances. On ne connaît à l'abbé de Condillac (1714-1780) nulle obsession des fumets, pas la moindre addiction aux effluves. Son choix paraît une affaire de méthode : choisir l'odorat, c'est opter d'entrée de jeu pour la difficulté. En effet, "c'est de tous les sens, souligne-t-il, celui qui paraît contribuer le moins aux connaissances de l'esprit humain".

Son choix nous vaut pourtant l'une des pages les plus insolites, étrange et poétique à la fois, de la philosophie européenne des Temps modernes. Condillac imagine en effet une statue capable de sentir, mais toute la sensation se trouve "bornée à l'odorat". La statue, qui représente l'être humain dans cette expérience de pensée, ne pouvant connaître que des odeurs, les devient, faute de pouvoir distinguer entre sa propre existence et ses uniques impressions olfactives.

"Elle n'est par rapport à elle que les odeurs qu'elle sent. Si nous lui présentons une rose, elle sera par rapport à nous une statue qui sent une rose ; mais par rapport à elle, elle ne sera que l'odeur même de cette fleur. Elle sera donc odeur de rose, d'oeillet, de jasmin, de violette, suivant les objets qui agiront sur son organe. En un mot, les odeurs ne sont à son égard que ses propres modifications ou manières d'être ; et elle ne saurait se croire autre chose, puisque ce sont les seules sensations dont elle est susceptible."

Planer dans l'évanescent

Le dispositif, baroque et charmant, d'une statue devenant tour à tour autant de fleurs que d'essences servira bientôt au philosophe à démontrer gravement l'engendrement du plaisir et de la douleur, des mécanismes de la mémoire, de l'abstraction, de l'imagination.

Finalement, les odeurs ne seraient qu'un prétexte : "Presque tout ce que j'ai dit sur les facultés de l'âme, en traitant de l'odorat, j'aurais pu le dire, en commençant par tout autre sens", conclut Condillac.

Rien n'oblige à le croire sur parole. Au contraire, l'odorat sert à merveille son dessein. Car, plus que tout autre sens, il est sans distance et surtout sans contour. Les odeurs flottent, elles s'épaississent ou se densifient, se séparent ou se mêlent, mais en demeurant toujours dans un halo, une sorte d'indistinction, d'apesanteur qui les fait planer dans l'évanescent. Ce sont des atmosphères sans bord où nous nous trouvons soudainement immergés.

Voilà sans doute pourquoi les philosophes les investissent si peu. Aériennes, éphémères, indécises, angéliques ou animales, les odeurs sont rétives aux concepts. Elles semblent trop hautes ou trop basses. Elles appartiennent aux poètes, aux savants, aux artistes-nez. Parfois aux statues imaginaires et aux expériences de pensée.
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Message  Hayyah Ven 7 Aoû - 13:03

L'odorat, c'est "mon" sens de prédilection. Etant très myope depuis toujours, j'ai dû acccentuer ce sens là. Je reconnais les gens à leur odeur, sans qu'ils soient là. Je peux dire qui est passé. Mélange des parfums, naturels ou non, je reconnais une personne, une identité. J'apprécie ou non une atmosphère. Elle peut m'indisposer autant que me faire fondre en un clin d'oeil. Ca ne s'explique pas. Je reconnais les couleurs de mes tubes de peintures aussi. Il m'est arrivé de les utiliser juste pour leur odeur. Le rouge japonais, et le jaune cadmium moyen, la térébenthine ...
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Message  Môa Lun 10 Aoû - 10:50

C'est fort, ça ! affraid
Perso, je ne me suis jamais intéressé à ce que je perçois, et à la manière de le percevoir.

Il faudrait que je me penche là-dessus, un jour ...
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Message  Hayyah Jeu 13 Aoû - 21:31

L'ouïe de Nietzsche, à l'écoute du monde
LE MONDE DES LIVRES | 13.08.09

Il aurait pu devenir pianiste. A 15 ans, il compose des pièces honorables. Bien plus tard, durant toute cette fin de vie muette, effondrée, ternie par la démence, il lui arrive encore, dans la maison de Weimar où l'ont recueilli sa mère et sa soeur, d'improviser des heures au clavier, avant de retomber dans une silencieuse hébétude. Friedrich Nietzsche (1844-1900) a de l'oreille. Mieux : il vit en tant qu'oreille. Par l'ouïe, par les sons, l'attention à leur sens, à leur portée, à leur nature, à leurs rythmes.

Ce philosophe-artiste accorde une importance décisive à la musique, comme aucun penseur ne le fit jamais. Il n'hésite pas à écrire : "Sans la musique, la vie serait une erreur."

A son oreille, la musique constitue la vérité du monde, la voie d'accès à l'essentiel, le coeur des énigmes. Ce qu'on y approche n'est pas une vérité close, immuable et figée, mais le rythme, la pulsation, la puissance même de la vie. La musique permet de rencontrer, de manière directe et bouleversante, la force même de l'existence, dans ses déchirures et ses jaillissements, dans sa fluidité, sa violence et ses variations.

Voilà pourquoi Nietzsche donne à ses expériences d'auditeur le rôle de véritables investigations des multiples registres de la réalité. Sa première oeuvre personnelle, La Naissance de la tragédie (1872), rapproche musique et mythe tragique en proclamant leur commune origine. Le jeune homme, à cette époque, est fasciné par Wagner : il prête aux opéras wagnériens toutes les qualités du monde. Il en attend monts et merveilles, ne tarit pas d'éloges sur le maître de Bayreuth. Quelques années plus tard, l'enthousiasme s'inverse en une répulsion tout aussi fascinée : rien n'est lourd, pesant, grandiloquent comme ces mélodies des brumes. Vive la lumière de Bizet, la clarté française, le chant du Sud...

Dans ces périples et revirements, on aurait tort de ne voir que les humeurs hypertrophiées d'un génie mélomane. Car Nietzsche, encore et toujours, fait de ses émotions musicales des sources de découvertes philosophiques.

Troisième oreille

Ce faisant, il inverse l'attitude antérieure, celle qui a dominé toute l'histoire. "De la cire dans les oreilles, c'était là, jadis, presque la condition préalable au fait de philosopher : un authentique philosophe n'avait plus d'oreille pour la vie, pour autant que la vie est musique, il niait la musique de la vie." Lui, à l'évidence, prétend faire exactement l'inverse.

L'ouïe, par conséquent, devient le sens philosophique par excellence. "Plus on devient musicien, écrit-il, plus on devient philosophe." La pensée est une question d'oreille, de finesse d'écoute. L'expression "troisième oreille", que Freud rendra célèbre, figure sous la plume de Nietzsche.

Evitons donc de réduire ce philosophe à un briseur d'idoles qui pense à coup de marteau. Ce qui l'intéresse - qu'on relise l'avant-propos de Crépuscule des idoles -, ce sont moins les coups que le "son creux qui parle d'entrailles pleines de vent" résonnant quand on frappe des idées fétiches. Du marteau, il convient donc de se servir, il le précise, "comme on ferait d'un diapason". Dans la pensée de Nietzsche, tout, décidément, est affaire d'oreille. Comparée à l'oeil, elle donne accès à "une toute autre conception, merveilleuse, du même monde".

Réduire l'histoire entière de la philosophie européenne au passage de l'oeil à l'oreille, des formes aux sons, du monde de Platon au monde de Nietzsche, serait excessivement simplificateur et schématique. Ce serait saccadé, mais pas nécessairement discordant.
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Message  Môa Ven 14 Aoû - 14:17

Ce qui me dégoûte, c'est que certains sachent (ou aient su) faire plusieurs choses correctement ... No
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Message  Hayyah Dim 30 Aoû - 12:05

Le toucher de Levinas, ou l'énigme de la caresse
LE MONDE DES LIVRES | 20.08.09 |

Au premier abord, on ne s'attend pas à trouver, dans un livre de théorie philosophique aussi dense et complexe que Totalité et Infini, des pages consacrées à la caresse. Qu'elle soit d'amour ou de tendresse, de désir ou de protection - à moins qu'elle ne conjugue tous ces traits -, la caresse semble loin des concepts, des analyses rigoureuses, des efforts d'abstraction. Si, en un sens, elle constitue bien une démonstration, elle n'a cependant rien à voir avec la géométrie. Ce geste d'affection ne mobilise pas, habituellement, la raison du philosophe.

Pourtant, dans ce livre majeur, paru en 1971 et devenu, depuis lors, un des piliers du paysage philosophique contemporain, Emmanuel Levinas (1906-1995) consacre à la caresse des pages inattendues. C'est en fait l'étrangeté même de la caresse qui retient d'abord son attention. Ce penseur - qui a mis au premier plan la question de l'autre, sa priorité sur moi, l'exigence éthique découlant de sa seule présence et de son visage - découvre qu'avec le toucher s'ouvre un espace-temps singulier.

Car la caresse ne vise, selon lui, "ni une personne ni une chose". Elle fait naître un entre-deux, un monde intermédiaire, où chacun, à la fois touchant et touché, n'est plus exactement soi-même, sans être pour autant devenu autre. Consistant "à ne se saisir de rien", la caresse se contente d'effleurer. Elle glisse, toute en tact, indéfiniment. Elle cherche, sans savoir quoi, sans rien trouver, mais sans cesser. En fait, elle "marche à l'invisible". Ce toucher-là est donc bien autre chose qu'une banale affaire de peau, de cellules, de nerfs et de synapses.

Un corps autre

La caresse, n'hésite pas à dire Levinas, "transcende le sensible". Le corps caressé-caressant n'est plus celui de la physiologie. Ce n'est pas le corps-chose des anatomistes ou des médecins. Mais ce n'est pas non plus le corps exhibé de l'artiste dansant, ni l'organisme soumis aux contraintes du travail, ni la silhouette courbée aux ordres des pouvoirs. C'est un corps autre, à la limite du dicible et du pensable. Curieusement obscur et lumineux à la fois, jamais entièrement présent, toujours en devenir, comme en deçà du monde des choses. Ainsi le philosophe tente-t-il d'approcher son statut paradoxal, sans pour autant le figer dans une vérité morte.

Car ce monde où l'autre a priorité est aussi celui de l'incertitude, du suspens des dogmatismes, de l'interruption des convictions tranchées. En avançant dans cette direction, il faut aller jusqu'à dire que s'éteint là ce que les métaphysiciens appelaient, autrefois, "vérité". Ce monde est celui où la fin du concept s'éprouve plus qu'elle ne se conçoit. C'est pourquoi on a parfois voulu voir, dans une supposée "philosophie de la caresse", le fil directeur de la pensée de Levinas. Ces pages ne sont d'ailleurs pas isolées dans son oeuvre - le thème de la caresse revient notamment dans un autre livre majeur, Autrement qu'être (1974).

A la pensée du regard - qui depuis Platon discerne des arêtes fixes, qui voit l'autre comme une chose parmi les choses, qui privilégie l'identité - la réflexion contemporaine, depuis Emmanuel Levinas, oppose donc une pensée du toucher, qui voudrait fonctionner différemment. Sans doute peut-on la juger déconcertante, car elle n'est pas bardée de certitudes ni cuirassée d'évidences. Mais cet incertain possède, en revanche, une portée éthique fondamentale. "Il faut que les catégories manquent, écrit Levinas, pour qu'autrui ne soit pas masqué."

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Message  Môa Dim 30 Aoû - 12:35

Je ne connaissais pas, mais je suis loin d'être attiré par la lecture de ce texte ... No
Ca ressemble trop pour moi à de la masturbation intellectuelle de philosophie contemporaine ...
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